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Mauvais procès contre les agents de santé : Quand l’affaire Astou Sokhna ouvre la boîte de pandore …

Le Témoin – L’affaire de la dame Astou Sokhna est un vrai drame survenu en milieu hospitalier. Car ce décès par négligence médicale a ému tout le peuple sénégalais. Malheureusement, certains patients profitent de cette histoire pour faire un mauvais procès aux médecins, aux sage-femmes et aux infirmiers. D’autres menacent de porter plainte contre des personnels de santé parce que tout simplement leurs parents ou proches sont décédés dans des circonstances similaires à celle où la dame Astou Sokhna a perdu la vie à Louga. Autrement dit, la boite de Pandore du lynchage des blouses blanches et roses est ouverte. Cloués au pilori, ces médecins, infirmiers et sage-femmes ont pourtant donné — et ne cessent de donner — tant de satisfactions et d’espoir en sauvant des vies souvent dans des situations désespérées. Pour quelques brebis galeuses, ces vaillants corps méritent-ils d’être conduits à la potence ? L’instruction à décharge du «Témoin»… 

Pour mieux camper ce triste débat, il faut encore déplorer la mort tragique de la dame Astou Sokhna, 34 ans, à la maternité de l’hôpital régional Amadou Sakhir Mbaye de Louga. Un vrai drame dû à une négligence médicale et qui a ému à juste titre tout le peuple sénégalais. En effet, les premiers éléments de l’enquête interne ont fait apparaître une série de défaillances au niveau de la prise en charge de la patiente : mauvaise qualité des soins, sous-estimation des risques, insuffisance de diagnostic, manque de surveillance etc. Ces graves manquements professionnels dont ont fait preuve certains membres du personnel de l’hôpital de Louga ont suffi pour vouloir conduire à l’abattoir tout le personnel de santé de notre pays. C’est sans doute pour étancher la soif de sang du peuple que quatre des six sage-femmes de garde au moment du drame ont été inculpées et placées sous mandat de dépôt. Et pour dompter la clameur publique, le ministre de la Santé a pris une mesure conjoncturelle de sanction alors même qu’il est question de trouver des solutions aux problèmes structurels de nos établissements hospitaliers. Abdoulaye Diouf Sarr a donc relevé de ses fonctions le directeur de l’hôpital de Louga, Dr Amadou Guèye Diouf, qui va servir de bouc-émissaire en même temps que les quatre sage-femmes emprisonnées. Avant cela, le ministre de la Santé avait condamné le personnel de garde de l’hôpital Amadou Sakhir Mbaye et l’a jeté en pâture avant même d’attendre les conclusions de l’enquête judiciaire. Or, le courage et l’élégance auraient voulu que, devant un tel drame dû à la défaillance de ses services, qu’il rende le tablier pour mettre à l’aise le président de la République.

Toujours est-il qu’en jetant la première pierre au personnel placé sous son autorité, Abdoulaye Diouf Sarr a ouvert la boîte de Pandore du lynchage de tout ce qu’il y a comme médecins, infirmiers et sage-femmes dans ce pays.

Tenez ! Au lendemain de ce drame de Louga, de nombreux patients ont profité de la vindicte populaire pour faire un mauvais procès aux médecins ainsi qu’aux sage-femmes. Des membres de familles de défunts, surgis du bois, ont menacé de porter plainte contre des personnels de santé. Ce, au prétexte que leurs parents ou proches disparus seraient morts dans des circonstances similaires à celles ayant entraîné la mort de la dame Astou Sokhna. «Le Témoin» a en effet appris que, ces derniers jours, des médecins, des sage-femmes et des infirmiers ont fait l’objet de menaces de plaintes, d’intimidations, de harcèlements de la part de certains patients et autres parents de personnes décédées. Ce, sous l’accusation d’«erreurs» ou de «défaillances» médicales. Une avalanche de récriminations et d’accusations souvent fallacieuses que des cadres et agents de santé ont signalées auprès de leurs syndicats respectifs. A ce propos, qu’on nous permette de raconter cette vieille affaire de décès d’une patiente qui remonte à 2017. Un jour de cette année-là, une parturiente sur le point d’accoucher avait été évacuée à la maternité d’un poste de santé de Dakar. Dans la panique et la précipitation, les accompagnants de la dame avaient sans doute oublié d’amener le carnet de consultations prénatales. Or, dans les normes de prise en charge des accouchements, la présentation du carnet de santé est obligatoire. Un des accompagnants était donc retourné chercher le carnet de santé à la maison. Avant son retour, la parturiente avait accouché d’un enfant mort-né. Un décès mis par les parents de la femme sur le compte de la volonté divine. Cela s’est passé il y a sept ans.

Des «négligences» à tout prix…

Vous croyez que l’affaire avait été oubliée ? Erreur ! Car, dès qu’a éclaté l’affaire Astou Sokhna de Louga, le poste de santé où s’était déroulé l’incident de la parturiente arrivée sans son carnet de santé avant d’accoucher d’un mort-né a reçu l’appel d’un homme demandant à parler à la sage-femme dont il se souvient très bien du nom. Au téléphone, l’homme, un «modou-modou» vivant en Espagne, s’est d’abord présenté comme l’époux de cette malheureuse maman dont la sage-femme ne se souvenait évidemment plus ! Néanmoins, l’appelant a tenu à rappeler un douloureux événement de mortinaissance survenu en 2017 et qu’il qualifie de «négligence médicale». Morceaux choisis : «Ce fameux jour, vous avez tué mon bébé pour avoir fait perdre à ma femme trente minutes consacrées à la recherche d’un carnet de merde !» s’est défoulé l’émigré. Avant de verser dans les menaces : «Vous ne perdez rien pour attendre car je serai au Sénégal durant la Tabaski. Et dès mon arrivée «dinguéne kham lep deugue la»…Je vais porter plainte !»

Ceci n’est qu’un exemple parmi d’autres du déluge de complaintes qui s’abat ces jours-ci sur les personnels de santé. Comme quoi, il est permis à tout patient ou parent de malade décédé de remémorer le moindre fait ou geste détecté lors de l’admission de celui-là à l’hôpital ou au centre de santé pour ensuite le lier rétrospectivement à une défaillance médicale supposée !

De l’avis d’un médecin gynécologue-obstétricien, qui se désole de cette situation, on assiste à une «dérive à l’américaine» de notre société.

Autrement dit, du risque de voir se développer une judiciarisation de celle-ci dans laquelle les médecins, les sage-femmes, les infirmiers et les ambulanciers chercheraient davantage à se prémunir des procès ou des accusations qu’à apporter des soins de qualité à leurs patients. Par contre, d’autres voient dans cette vague de procès une remise en cause salutaire de l’impunité et du laisser-aller des médecins, sage-femmes et infirmiers pour qu’ils améliorent la qualité de l’accueil et de la prise en charge dans les hôpitaux, surtout au niveau des «urgences».

 

Le SAMES en colère !

Toujours est-il que le Syndicat autonome des médecins pharmaciens et chirurgiens-dentistes du Sénégal (SAMES) semble avoir flairé les effets de l’ouverture de la boite de Pandore des plaintes et des complaintes voire du lynchage médiatique et même physique des personnels de santé. Car, dans son communiqué relatif à l’affaire de Louga, cette organisation syndicale dit avoir constaté un «acharnement médiatique sans retenue sur le personnel socio-sanitaire, consécutif au décès de Madame Astou

 

Sokhna à l’hôpital de Louga». Pour le SAMES, le décès d’Astou Sokhna est regrettable comme les 717 autres décès maternels enregistrés en 2021 dans l’ensemble du pays. «Ce, malgré tous les efforts de médecins et pharmaciens pour les éviter. Donc le décès d’Astou Sokhna doit être étudié avec le professionnalisme et la sérénité nécessaires, sans aucune influence politique ou populiste pour en tirer les enseignements utiles. Afin de prendre des mesures permettant d’éviter la reproduction de pareils drames à Louga et dans d’autres structures de santé». Voilà ce qu’avait souligné le SAMES tout en appelant les travailleurs de la santé à se tenir prêts pour la défense de leurs camarades de Louga «lâchement jetés en pâture par tous les aigris de la République voulant casser de la blouse blanche. Nous n’accepterons plus qu’un agent de santé soit le bouc émissaire d’un système défaillant alors que le premier responsable de ce système est le président de la République, gardien de la Constitution qui garantit le droit à la santé aux populations» tonnaient encore les syndicalistes.

 

Quoi qu’il en soit, force est de reconnaitre que, de tout temps, nos braves médecins, infirmiers et sage-femmes ont fait preuve d’abnégation pour soigner leurs parents, ont sauvé et continuent de sauver des milliers de vies. Et quoi que l’on puisse dire également, force est de constater que le personnel hospitalier ou sanitaire sénégalais, composé d’hommes et de femmes compétents et expérimentés, a fait ses preuves dans toutes les spécialisations.

 

Ce, malgré un plateau technique et un système de santé défaillant. Et aussi des salaires particulièrement bas. Encore mieux, l’expertise sénégalaise est tellement avérée au point que la plupart des patients désespérés des pays voisins (Gambie, Mauritanie, Cote d’Ivoire, Guinée Bissau, Guinée Conakry etc.) viennent au Sénégal pour se soigner. Aujourd’hui, nos médecins, pharmaciens, sage-femmes et infirmiers sont jetés en pâture et livrés à la vindicte populaire comme s’ils étaient des bouchers qui passent leur temps à abréger nos vies.

 

Toujours est-il qu’en s’empressant de faire sauter des fusibles et procéder à des sanctions expéditives dans l’affaire de Louga, le ministre de la Santé s’est exposé à de grandes complications. Car, là où des usagers ont, souvent à juste titre reconnaissons-le, fait un mauvais procès aux médecins, infirmiers et sage-femmes, ces derniers aussi ont mis à nu les défaillances de notre système de santé à tous les niveaux. Et qui mieux qu’eux est à même de dénoncer ces défaillances puisqu’ils sont les principaux acteurs du même système ? Pour dire que le seul combat qui vaille, c’est celui de se pencher au chevet de notre système de santé afin que des drames pareils à celui survenu à l’hôpital Amadou Sakhir Mbaye de Louga ne se reproduisent plus…

 

 

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