La Haine, cette passion sombre, aveugle, surgit très souvent dans les arènes où les destins des peuples se dessinent. En période de crise, de compétition électorale ou de tensions communautaires, le discours politique peut se muer en arme.
Or, la politique devrait être l’art de gérer pacifiquement les affaires de la cité. Pourtant, l’histoire montre que, trop souvent, elle devient le théâtre de la Haine, de la stigmatisation et de la violence.
Quand les discours politiques se chargent de Haine , les institutions chancellent, les sociétés se déchirent. La Haine y devient non seulement un poison, mais un carburant.
Alors ! Qu’est-ce que la Haine ?
Quelle est sa perception dans les grandes traditions religieuses?
Comment se manifeste-t-elle concrètement dans l’arène politique ?
Et surtout, comment y faire face ?
A. La Haine : nature et définition
La Haine est une émotion violente de rejet, dirigée contre une personne, un groupe ou une idée. Elle peut être nourrie par la peur, l’humiliation, la jalousie ou les blessures non cicatrisées de l’histoire. Elle devient un instrument redoutable lorsqu’elle est utilisée dans le discours politique, notamment en période de tension.
Le philosophe Baruch Spinoza écrivait dans son Éthique (1677): « La Haine est une tristesse accompagnée de l’idée d’une cause extérieure. »
Quant à Jean-Paul Sartre, dans L’Être et le Néant (1943), il affirme que : « Haïr, c’est vouloir détruire un être conscient. »
B. Les regards religieux sur la Haine
1. En Islam
L’Islam condamne la Haine injustifiée. Le Coran enseigne la justice même envers ses pires ennemis : « Ô vous qui avez cru ! Soyez stricts dans vos devoirs envers Allah, et témoins équitables. Et que la haine pour un peuple ne vous incite pas à être injustes. Soyez justes, cela est plus proche de la piété. »(S. al-Mâ’ida, V.8)
Le Prophète Muhammad (PSL) disait : « Le croyant n’est ni diffamateur, ni malveillant, ni grossier, ni haineux. » (Al-Tirmidhi, n°1978)
2. En Christianisme
L’enseignement du Christ repose sur l’amour inconditionnel : « Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, priez pour ceux qui vous maltraitent et vous persécutent. »
(Matthieu 5:44)
3. En Judaïsme
Le Lévitique commande : « Tu ne haïras point ton frère dans ton cœur. »
(Lévitique 19:17)
Le Talmud (Yoma 9b) enseigne que la destruction du Second Temple fut causée par la « sinat ‘hinam » (haine gratuite) entre Juifs.
4. En Bouddhisme
Le Bouddha disait dans le Dhammapada (verset 5) :
« La Haine ne cesse jamais par la Haine; c’est l’amour qui met fin à la Haine . C’est une loi éternelle. »
C. Cas patents de Haine politique :
1. L’Allemagne nazie (1933–1945)
Sous Adolf Hitler, la Haine antisémite fut codifiée dans les lois et propagée dans les médias.
– En 1935, les lois de Nuremberg interdisent les mariages entre Juifs et non-Juifs.
– Le 9 novembre 1938, la Nuit de Cristal voit l’incendie de centaines de synagogues et la destruction de milliers de commerces juifs.
– Hitler, dans Mein Kampf (1925), avait déjà écrit : « Si les Juifs étaient seuls sur cette terre, ils finiraient par se tuer eux-mêmes. »
Cette Haine conduira à l’extermination de 6 millions de Juifs dans la Shoah.
2. Le génocide des Tutsis au Rwanda (1994)
Entre avril et juillet 1994, plus de 800 000 Tutsis sont massacrés en 100 jours.
– La Radio Télévision Libre des Mille Collines (RTLM) appelait à tuer les Tutsis, qualifiés de « cafards ».
– Un animateur déclara : « Attrapez-les comme des rats, achevez-les. » (Archives RTLM, mai 1994)
Les discours de Haine ethnique furent une préparation psychologique au génocide.
3. La guerre en ex-Yougoslavie (1991–1995)
Après l’éclatement de la Yougoslavie, des discours haineux alimentèrent les massacres.
– En juillet 1995, à Srebrenica, plus de 8 000 Bosniaques musulmans sont tués par les forces serbes du général Ratko Mladić.
– Les discours de Slobodan Milošević évoquaient une Serbie menacée, utilisée pour attiser le nationalisme serbe.
4. États-Unis: suprémacisme blanc et polarisation
– 11 septembre 2001 : après les attentats, des millions de musulmans sont stigmatisés.
– En août 2017, à Charlottesville (Virginie), un rassemblement d’extrême droite tourne à l’émeute. Une voiture fonce sur les manifestants antiracistes, tuant Heather Heyer, militante pacifiste.
Le président Donald Trump affirme : « Il y avait des gens très bien des deux côtés. » (Conférence de presse, 15 août 2017)
Cette déclaration sera perçue comme une tolérance implicite envers les suprémacistes.
D. Conséquences et dangers de la Haine politique
– Clivage ethnique ou religieux
– Criminalisation de l’opposition
– Perte de confiance dans les institutions
– Risque de guerre civile ou de génocide
La Haine politique est toujours un prélude au chaos. Elle désintègre les liens sociaux et installe un climat de peur.
E. Que faire ? Éthique et résilience
Face à la Haine politique, les réponses doivent être multidimensionnelles :
– Éducation à la tolérance dès l’école.
– Encadrement juridique des discours publics (lois contre les discours de Haine ).
– Rôle des médias : refuser de relayer la Haine.
– Dialogue interreligieux et interethnique.
– Responsabilité des leaders politiques qui doivent éviter les discours guerriers…
Comme disait Nelson Mandela : « Personne ne naît en haïssant une autre personne à cause de la couleur de sa peau, ou de son passé ou de sa religion. Les gens doivent apprendre à haïr, et si on peut leur apprendre à haïr, on peut leur apprendre aussi à aimer, car l’amour naît plus naturellement dans le cœur de l’homme que son contraire. » (Un long chemin vers la liberté, 1994)
En vérité, » Tout au long de ta vie, certaines personnes te mettront en colère, te manqueront de respect et te traiteront mal. Laisse Dieu s’occuper d’elles, autrement la Haine te consumera. » Will Smith
Conclusion
Quand la Haine s’invite dans la politique, elle ne s’arrête jamais à la parole. Elle contamine les cœurs, ensanglante les rues, détruit les nations. Il est du devoir des dirigeants, des intellectuels, des croyants et des citoyens de veiller à ce qu’aucun mot, aucune idéologie, aucune ambition ne fasse de la Haine un moteur de pouvoir.
Ne jamais perdre de vue que celui qui déteste son semblable s’enchaîne à sa rancune, se fait prisonnier de son ressentiment et n’est plus un être libre.
Quand on alimente la Haine et la Rancune, on se tue soi-même à petit feu. C’est ce qui a fait dire au Dalaï Lama que : « Une personne qui porte de la Haine en elle n’est pas libre; elle est prisonnière de son propre chagrin et de sa propre colère. »
Harouna Amadou LY
