Dans le troisième et denier numéro de la série de publications consacrées à la crise malienne, l’expert Al Hassan Niang aborde les implications au plan économique suite aux sanctions décidées par la Cedeao à l’encontre du régime militaire en place au Mali.
Dans le document reçu et publié par Seneweb, le spécialiste en réforme institutionnelle et en gouvernance démocratique s’intéresse aux relations que le Mali entretien avec les organisations régionales et sous-régionales. Ainsi qu’aux perspectives sur une sortie de crise éventuelle.
3e partie
En application des sanctions contre le Mali, la CEDEAO a officiellement procédé au blocage des frontières de l’espace communautaire. Ce faisant, les chefs d’Etat et de Gouvernement ont ouvert une boite de pandores aux dangereuses incertitudes à géométrie variable. Celles-ci portent sur des différents niveaux de contradictions juridiques.
D’abord, rappelons qu’en droit la notion de frontières entre pays n’existe pas dans le cadre d’un espace communautaire. Quand la question est envisagée d’un point de vue logique, les frontières de la CEDEAO se trouvent à la lisière de l’espace sous-régional ; ce qui signifie précisément entre l’espace sous-régional et les pays qui ne sont pas membres de cet espace. Parler de fermeture de frontière à l’égard de quelque pays de l’espace communautaire est donc un contre-sens juridique. Comment envisager des fermetures de frontières à l’intérieur de la CEDEAO alors que celles-ci ont été abolies d’un point de vue juridique et institutionnel par la création de la Communauté ? Les frontières de la Communauté telles qu’elles existent ont été définies comme espace de la CEDEAO. Par conséquent, la fermeture d’une frontière de l’espace ne saurait s’appliquer que contre un pays en dehors de la CEDEAO.
Ensuite, il faut noter que le Mali entretient de nombreux accords bilatéraux et multilatéraux avec les agences des Nations-unies à l’instar de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), ou les organisations africaines telles que la Zone de Libre Échange Continentale Africaine (ZLECAF) pour ne citer que ces deux. Dès lors que les sanctions contre le Mali empêchent l’exercice de ces accords qui ne relèvent aucunement de la compétence de la CEDEAO, elles posent un problème de légalité et de légitimité en plus du problème moral auquel elles renvoient.
Enfin, l’on ne manquera pas de noter que les sanctions de la CEDEAO contreviennent à des principes acquis qui ne peuvent être remis en cause. Elles contredisent le principe même de libre circulation des biens et des personnes qui est le fondement et justifie l’existence de la CEDEAO en tant qu’espace. Quand des sanctions constituent une entrave à l’exercice d’un droit ou l’observation d’un accord bilatéral ou multilatéral, leur application confère en droit une primauté qu’en l’espèce aucune législation de la CEDEAO ou d’un autre organisme continental ou international ne prévoit. Dès lors, à moins d’invoquer le principe d’extraterritorialité qui échappe à la compétence de l’institution Communautaire, la CEDEAO ne peut se prévaloir de son corpus pour imposer au Mali de telles iniquités. Les fondements de l’organisation Sous-régionale tout comme l’idéal de sa Communauté sont aujourd’hui plus que jamais en cause.
Il faut donc que les juristes africains, restés inaudibles sur la question des sanctions, se saisissent des enjeux de la crise pour aider au dénouement de cet imbroglio juridique. En attendant, nous comptons sur le Mali pour introduire une saisine auprès de la Cour de Justice de la CEDEAO et lui demander d’assurer le respect du droit et des principes d’équité dans l’interprétation et l’application des dispositions du Traité révisé de l’Institution ainsi que des autres instruments juridiques subsidiaires adoptés par la Communauté.
Perspectives !
Les deux institutions sous-régionales dont l’image est déjà ternie pour les raisons évoquées plus haut sortiront diminuées par la crise malienne. Elles ont montré qu’elles demeurent les pales miroirs des États et des Gouvernements ainsi que de leurs politiques internes assises sur des pratiques révolues. Elles pourraient toutefois renouer avec la confiance des citoyens de l’espace communautaire si elles parviennent à faire les réformes nécessaires à leur utilité.
Par exemple, dans le contexte des crises de l’espace Communautaire mais aussi des différentes expériences que l’ECOMOG a menées, les Chefs d’Etat et de Gouvernement pourraient se servir de ce substrat pour envisager la fusion des armées des pays de la CEDEAO en une seule armée communautaire. En effet, rappelant avec éloquence l’interdépendance entre la sécurité du Mali qui est structurellement et intégralement liée à celle de la sous-région, la crise malienne aura au moins permis à la CEDEAO de fonder la sécurité de son espace d’un point de vue communautaire.
Les imbroglios et les manquements juridiques, mis à nu par les sanctions infligées au Mali constituent également des pistes intéressantes de réforme institutionnelle. En créant la Communauté, les frontières de cette dernière ont de fait et en Droit été délimitées à la périphérie de l’espace communautaire, c’est-à-dire entre la CEDEAO et tout ce qui n’est pas de la CEDEAO. La fermeture des frontières avec le Mali constitue donc une monstrueuse absurdité juridique que cette crise aura eu le mérite de mettre en relief.
Une réflexion profonde sur cette question, suivie d’une réforme courageuse, permettra par ailleurs de régler les pratiques courantes de certains pays qui consistent à fermer leurs frontières au gré des humeurs politiques de l’heure ; et ce au mépris et au détriment des peuples, du corpus juridique de la CEDEAO.
Enfin, le corpus ayant fondé la création des deux organisations sous-régionales qui sont essentiellement d’inspiration européenne, doit être revu et adapté à la lumière des réalités et des aspirations africaines. Au-delà du fonctionnement de ces deux institutions, qui ont été mises en place avec le concours technique et financier de la France et des PTF, la CEDEAO et l’UEMOA doivent impérativement revoir leur rapport au peuple, remettre à plat le projet communautaire, le reformuler et s’assurer que le dispositif organisationnel, administratif et financier garantisse de façon exclusive la sauvegarde des intérêts de l’espace ouest -africain. C’est à ce prix que ces institutions joueront un rôle de développement pour l’Afrique.
S’agissant de l’UEMOA, l’indépendance financière de l’espace économique et monétaire doit être érigée en super priorité. Les velléités maliennes de contourner le trésor français pour affirmer leur souveraineté financière sont applaudies par tous les Africains qui souhaitent en finir avec la servitude monétaire. Cette aspiration doit être entendue et réalisée non seulement pour toutes les raisons qui en sous-tendent le fondement, mais pour éviter que naisse et vive dans l’esprit des populations la perception d’une UEMOA des Chefs d’Etat et de Gouvernement et une UEMOA des peuples.
Pour ce qui est de la CECEAO, où cette perception des populations est tenace, la mise en œuvre des réformes indiquées plus haut permettra de concilier les attentes communautaires aux nouvelles pratiques institutionnelles.
Al Hassane NIANG
Spécialiste en réforme institutionnelle et en gouvernance démocratique
Président de Jiitël Wareef – Le Devoir En Mouvement ! Sénégal
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