Au Sénégal, la gratuité des soins de santé primaires, ambition nationale portée par des programmes comme ceux de l’Agence de la Couverture Maladie Universelle (CMU), vise à améliorer l’accès aux soins pour les populations vulnérables. Cependant, des lacunes persistantes entravent son efficacité, entre obstacles structurels et manque de coordination.
Depuis les années 2010, des réformes ont ciblé la Couverture Sanitaire Universelle (CSU) pour réduire les inégalités sociales et territoriales. Mais sur le terrain, la réalité contredit les ambitions. M. Kanouté, expert, liste les freins : « ruptures fréquentes de médicaments, indisponibilité des médicaments ‘gratuits’, sous-effectif du personnel, surcharge de travail, manque de motivation et de formation, inégalités territoriales, zones rurales sous-équipées, difficultés logistiques, manque d’information sur les soins gratuits, paiements informels. » Il déplore l’absence de suivi rigoureux et d’indicateurs d’impact.
Hôpitaux : une gratuité conditionnée
À l’hôpital Abass Ndao, les dossiers s’accumulent au service social. « En 2024, nous avons traité 147 demandes de prise en charge sociale ; en 2025, déjà 47 au premier trimestre », explique Anta Niang, cheffe du service. Les patients, souvent démunis, luttent pour couvrir hospitalisations ou examens, obligeant le personnel à chercher des fonds ou négocier des remises. À l’hôpital Idrissa Pouye de Grand-Yoff, la carte d’identité sert de caution. « En 2024, 4 600 cartes ont été retenues ; 30 % ne sont jamais récupérées, soit un manque à gagner de 100 à 150 millions FCFA », indique Anne Cécile Nzale, chargée du recouvrement.
Programmes limités
Des initiatives comme la césarienne gratuite, l’hémodialyse, le Plan Sésame ou les soins pour les enfants de moins de cinq ans existent, mais souffrent de financements insuffisants, de méconnaissance ou de retards de remboursement. Une assistante sociale anonyme note : « Les hôpitaux manquent de moyens pour appliquer la gratuité, souvent limitée à certains services. »
Oussouye : l’enclavement complique tout
En Basse-Casamance, le district sanitaire d’Oussouye illustre les défis ruraux. Martine Ginette Boissy, superviseure, souligne que l’enclavement, surtout en saison des pluies, entrave l’accès aux soins, notamment pour les femmes enceintes ou les malades chroniques. Malgré des indicateurs encourageants (1 143 consultations prénatales en 2024, 900 accouchements en structure), les ruptures de médicaments, les retards de remboursement et le manque de personnel qualifié limitent la gratuité. Des frais cachés (évacuations, analyses) persistent.
Césarienne et dialyse : une gratuité théorique
À Dakar, une étude du Dr El Hadj Malick Sylla (APHCR, 2024) montre que 44 % des femmes évitent les structures locales pour les césariennes, cherchant qualité ou coûts moindres. Mme Sarr, cadre, déplore : « Les kits de césarienne sont souvent en rupture, obligeant les familles à payer en urgence. » Pour la dialyse, un patient témoigne : « Les médicaments complémentaires ne sont pas disponibles, malgré la gratuité des séances. » Dans le privé, une séance coûte 60 000 à 120 000 FCFA, et les centres publics, saturés, manquent de spécialistes.
Financement : le talon d’Achille
Le Pr Issakha Diallo critique l’allocation budgétaire : « Les fonds vont aux hôpitaux, pas à la base. » Amadou Kanouté (CICODEV Afrique) note que l’État ne finance que 15,3 % des soins primaires, contre 55,9 % par les ménages. « Les paiements directs excluent les plus pauvres », ajoute-t-il. Le Dr Farba Lamine Sall pointe les failles administratives : « L’état civil déficient complique l’identification des enfants éligibles. La vulnérabilité économique devrait primer. »
Mamadou Diouf, de la Cellule d’appui aux élus locaux, prône l’implication des maires pour mobiliser des ressources (fonds miniers, mécénat). « Une citoyenneté active, informée de ses droits, est essentielle », conclut-il. La gratuité, bien qu’ambitieuse, reste inégale, nécessitant un financement durable, une meilleure coordination et des politiques ancrées dans les réalités locales.
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